Après cet article de Wired au sujet de Steemit, certains avaient salué une avancée dans la direction de la rémunération du digital labor.
Vous connaissez peut-être ma position : les micro-paiements des usagers ne sont pas une solution aux tensions socio-économiques que le travail des plateformes attise. Au contraire, ils sont part du problème, dans le mesure où ils contribuent à la prolétarisation des usagers – et atomisent davantage un acte de production de valeur qui, sur les plateformes plus qu’ailleurs, est un acte éminemment social.
Ceci dit, Steemit représente une excellente démonstration de pourquoi micro-rémunérér les usagers est une mauvaise idée.
Steemit est une plateforme sociale (un Reddit-like) qui paie ses usagers en monnaie cryptée (appelée “Steem”) pour chaque post ou partage. Rien d’original jusque là. TSU avait déjà tenté cette expérience et plusieurs applications (comme par ex. Bitwalking) proposent des rémunérations en bitcoin pour le simple fait d’utiliser leur service. Sur Steem, les posts les plus partagés remontent dans le classement. Surtout, ils affichent le montant gagné par leur auteur. L'”engagement”, aussi, est recompensé : les usagers peuvent gagner des Steems en likant ou en partageant des contenus.
Sympa, non ? A un détail près : des Steems sont créés chaque jour. Dont il s’avère que le Steem est une *monnaie fondante* (c-à-d, qui se déprécie chaque jour). Ce qui crée des incitations économiques pour les usagers à l’investir en obligations (appelées “Steem Power”, qui l’immobilisent pendant 2 ans) ou à la garder sur la plateforme (sous forme de “Steem Dollars” qui peuvent être donnés à d’autres membres par ex).
Si elle reste sur la plateforme, la monnaie donne des dividendes (ou “salaires”?) plus importants quand vous postez ou likez un contenu :
“by holding Steem Power you are given some of the Steem that are created each second as more Steem Power.
90% of the new Steem goes to anyone holding Steem Power.
10% of the new Steem goes to anyone voting on a post or contributing.When you vote for a post, the more Steem Power you have, the more you are rewarded by the creation of new steem.
For example, if you see a post with an estimate of $1000:
$500 is being paid to the curators
$250 is being paid to the author
$250 is being paid to the parent/grandparent post if there is one, otherwise it goes to the author” (Source)
Aujourd’hui, Steemit fait état de 350k usagers, dont 50k actifs. Ces derniers auraient “gagné” l’équivalent de $30 millions de Steem sur 18 mois. Ce qui peut paraître impressionnant, mais en fait c’est $33/mois en moyenne. Btw, $33 que vous ne pouvez pas échanger (ils sont thésaurisés sur la plateforme sous forme de “Steem Dollars” ou de “Steem Power”).
Bref on peut être d’accord avec les concepteurs de Steemit, quand, dans leurs FAQ, ils admettent candidement: “At its root, Steem is simply a points system”. Oui, des points. Qui ne sont pas conçus pour rémunérer le digital labor des usagers, mais bien pour attirer des investisseurs/annonceurs, qui, pour se faire de la pub ou développer des services sur la plateforme, doivent acquérir des Steems (avec les effets d’inflation et
de “bad money drives out good” que l’on connait).
Je souligne un élément important : les investisseurs/annonceurs pourront payer en Steem pour avoir leur contenu mis en avant. Cela sent la Facebook Fraud et la ferme à clic non ? C’est le CEO Ned Scott qui l’explique dans cette vidéo (vers 6’30″) : “Steemit fait ouvertement ce que FB fait en coulisses” :
Moralité : quand vous voyez la valeur en $ affichée sous chaque post de Steemit, ce montant ne vaut pas plus que le nombre de likes sur FB. Puis-je payer mon loyer avec mes likes sur FB? Non. Voilà. Sur Steemit, non plus. De surcroit, la plateforme a un intérêt déclaré à créer de la “fausse viralité” des contenus, en créant une économie parallèle faite de transactions pour fausser les score de réputation et d’engagement. Les likes sur FB sont-ils tous “organiques”? Non. Voilà. Sur Steemit, non plus.