Dans le quotidien en ligne Rue89, les sociologues et membres du projet ANAMIA Antonio Casilli et Fred Pailler publient une tribune pour inviter les internautes à tweeter sous le hashtag #suppression1052 pour inciter les sénateurs à votre contre la création du délit d’anorexie sur Internet.
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Anorexie et #suppression1052 : éviter un désastre de santé publique
La FNA-TCA (Fédération nationale des associations d’aide aux TCA), représente les associations de familles et de personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA). L’équipe du projet de recherche ANAMIA, elle, rassemble les chercheurs universitaires qui, comme nous, ont étudié pendant des années les communautés internet de personnes souffrant de ces mêmes TCA.
Depuis la semaine dernière, nous nous sommes associés, et menons désormais une campagne qui porte sur un enjeu qui peut paraître anecdotique, mais qui renferme en soi l’embryon d’un désastre de santé publique que nous tous pouvons contribuer à empêcher.
Making ofFaut-il interdire les sites dits « pro-ana » – c’est-à-dire considérés comme incitant à l’anorexie ? Le débat est ouvert depuis l’adoption d’un amendement au projet de loi Santé, qui répond positivement à la question. Alors que ce texte va être débattu au Sénat, deux chercheurs expliquent à quel point cette interdiction serait contreproductive et lancent une campagne en ligne. Rue89Ce pour quoi nous nous battons, c’est la suppression d’un petit passage de la loi santé récemment approuvée par l’Assemblée nationale, et actuellement en discussion au Sénat. Ce détail de la loi, c’est l’amendement n° 1052, mieux connu comme l’amendement « anti-anorexiques » qui crée le « délit d’incitation à la maigreur extrême sur Internet ».
Laissez-nous vous expliquer pourquoi il important de nous aider à sensibiliser vos sénateurs, en leur signalant notre combat par mail, sur Facebook ou sur Twitter, avec le hashtag #suppression1052.
Aidez notre combat 1️⃣Choisissez 4 sénateurs : http://t.co/vRIFKyfLih 2️⃣Tweetez #suppression1052+notre appel : http://t.co/WBb1hVhVnv 3️⃣Go !
— Anamia (@anamia) 5 Mai 2015
De quoi il est question, concrètement ? En France 600 000 personnes [PDF] souffrent de troubles du comportement alimentaire : anorexie, boulimie, mais aussi hyperphagie, troubles mixtes… Certaines de ces personnes s’expriment sur des blogs, des forums, des médias sociaux. Elles y témoignent de leur détresse et parfois elles y tiennent des propos problématiques : « Je veux maigrir à tout prix », « je veux être parfaite », « je vais dorénavant n’ingérer que 100 calories par jour ». Sont-elles en train de prôner l’anorexie ? Certains en sont convaincus, et affublent ces sites web d’un label sulfureux : « pro-ana ».
L’amendement 1052 affirme une chose très basique : que toute personne qui tient un site pro-ana, incite les autres à l’anorexie et devrait aller en prison. Pendant un an. Et payer une amende de 10 000 euros. Est-ce si simple ? Oui. Simple comme inscrire un nouveau délit dans le code pénal. Le délit d’anorexie.
Mais combien de personnes risquent en fait la prison ? Selon une étude que nous avons menée en 2012, moins de 1‰ des Français concernés par les troubles alimentaires participent à des blogs qui sont identifiables comme « pro-ana ».
Pourquoi alors légiférer sur cette question ? C’est ce qu’on appelle un effet d’annonce, bien évidemment. Sauf que, outre le fait que cette mesure est inutile pour lutter contre les troubles alimentaires, elle risque d’avoir des conséquences néfastes sur les personnes mêmes qu’elle souhaiterait protéger. L’amendement 1052 risque de faire empirer, avec la stigmatisation et la répression pénale, la condition de ces personnes déjà fragiles : imagine-t-on une jeune femme d’une trentaine de kilos en prison ?
Une mesure erronée et inefficace
Voilà pourquoi nous nous opposons à cette mesure inefficace, et voilà pourquoi nous croyons que les sénateurs devraient écouter les voix des citoyens et des citoyennes qui connaissent et qui pratiquent Internet, et qui ne s’abandonnent pas facilement à des paniques morales et des manœuvres politiques.
Parce que tout utilisateur des réseaux un tant soit peu averti le sait : la répression des sites web ne fait que provoquer une cascade de conséquences néfastes. La première, c’est le célèbre effet Streisand : interdire les sites web dits « pro-ana » ne les supprimera pas puisqu’ils vont refaire surface ailleurs. Dans un autre pays, depuis un autre serveur… Qui plus est, la répression pousse ces sites dans la clandestinité. Ils se recréent ailleurs sur Internet, dans un « entre soi » confortable, difficile d’accès pour les familles et le corps médical.
Dans le miroir (Benjamin Watson/Flickr/CC)
Nos collègues Lise Mounier et Paola Tubaro se sont penchées sur les motivations des utilisateurs des sites dits pro-ana. Dans une étude publiée en 2014, elles ont démontré que ces personnes recherchent majoritairement un soutien et de l’information sur la maladie et la prise en charge. Ceux et celles qui consultent ces sites le font d’autant plus qu’ils perçoivent comme réduite l’offre de soins spécialisés dans les TCA en France. Notre pays ne compte que 22 structures de soins spécialisées dans les TCA. Face à ça, est-ce surprenant que les malades cherchent de l’information sur Internet – et qu’ils la trouvent dans des lieux complexes, problématiques, hors du contrôle des professionnels de la santé ?
Plutôt que d’interdire ces sites où se développent également des stratégies d’entraide et d’incitation aux soins, les sénateurs doivent corriger cette mesure erronée et néfaste commise par les députés. A l’issue du vote au Sénat, la nouvelle loi santé devra supprimer l’amendement 1052 et le remplacer par des mesures réelles pour combattre contre les troubles alimentaires : débloquer des crédits pour faciliter les soins, la prise en charge, l’accueil, la formation des médecins et des personnels accompagnants ; mettre en place non pas des lois populistes et liberticides, mais une véritable politique de prévention et de soutien de la recherche dans le domaine des TCA.
À défaut de quoi, la mauvaise réponse apportée par les élus à un vrai et grave problème de santé publique ne fera qu’empirer la condition de centaines de milliers de personnes concernées par de troubles qui multiplient par 12 leur risque de mortalité prématurée.