Dans le numéro de février 2019 de Philosophies Magazine.
À en croire la prophétie, le développement de l’intelligence artificielle conduirait notre humanité vers la fin du travail. Mais les faits sont têtus : malgré un marketing axé sur l’automation, les plateformes numériques ne peuvent fonctionner sans des myriades de petites mains palliant leurs maladresses. Des petites mains très humaines qui effectuent le digital labor, ce travail du clic « tâcheronnisé, fragmenté et souvent occulté ». « En attendant les robots », ce sont les travailleurs qui sont réduits à l’état d’automates pour une industrie qui esquive toutes les obligations de l’employeur. La passionnante enquête du sociologue des réseaux Antonio Casilli nous emmène à la découverte de ce travail invisible dans les chaînes de sous-traitants numériques, néoprolétaires du Nord et du Sud chargés d’éduquer les algorithmes par des tâches répétitives, mais assez ludiques pour faire oublier leur nature laborieuse. Tout aussi ignoré est le travail gratuit du consommateur-producteur sur les réseaux sociaux, grassement revendu à des fins publicitaires. Cet ouvrage engagé et stimulant n’annonce ni la fin du travail, ni sa conversion émancipatrice dans l’économie collaborative, mais questionne ce que nous avons coutume de nommer travail.