J’ai été invité au Sénat français pour présenter une proposition de loi sur la gestion algorithmique du travail sur les plateformes numériques, portée par le sénateur communiste Pascal Savoldelli. Compte rendu dans le quotidian L’Humanité.
Algorithmes, « contremaîtres des temps modernes »
Ubérisation Les travailleurs sous les ordres directs de logiciels sont de plus en plus nombreux. Un projet de loi communiste vise à encadrer cette nouvelle forme de management. Publié leJeudi 6 avril 2023-Pierric MarissalAFP «Voici ton client », « prends ce chemin », « attention, tu es en retard », « tu es déconnecté »… Voici le type de messages que reçoivent les travailleurs des plateformes, surveillés, dirigés et sanctionnés par des algorithmes. « Ce sont les vrais contremaîtres des temps modernes », résume Pascal Savoldelli, sénateur communiste, auteur d’une proposition de loi sur le management algorithmique, présentée ce mercredi. Composée de trois articles, elle entend proposer une définition juridique de ces programmes informatiques, comme organisation de pouvoir et de contrôle.
Les plateformes se cachent derrière la machine
Elle suggère aussi de créer une obligation de transparence de ces algorithmes pour les membres du CSE, afin notamment qu’ils ne soient pas source de discrimination. « Il y a déjà eu plusieurs exemples, comme les déconnexions abusives chez Deliveroo, ou les discriminations à l’emploi chez Amazon, pointe Pascal Savoldelli, et à chaque fois l’employeur dit : “Ce n’est pas nous, c’est la machine.” Voilà pourquoi on veut replacer l’algorithme dans la chaîne de responsabilité. » Le secrétaire national du syndicat de VTC INV, Brahim ben Ali, est venu au Sénat soutenir le texte, qu’il juge très important. « La semaine dernière encore, aux prud’hommes, l’avocat d’Uber nous disait que, permettre un droit de regard sur l’algorithme, ce serait comme demander la recette du Coca-Cola, violer un secret industriel, raconte le syndicaliste. Cela voudrait dire qu’on doit les laisser tout faire ? » Dans cette boîte noire sont en effet enfermées les raisons des déconnexions, comment sont construits les tarifs, pourquoi tel client est attribué à tel chauffeur, même s’il n’est pas le plus proche… Des décisions à l’origine humaines, mais les plateformes se cachent derrière la machine pour préserver le secret sur leurs recettes et masquer le caractère parfois antisocial de leurs décisions. Aller chercher l’humain derrière l’algorithme et le mettre en lumière est le cœur du travail du sociologue Antonio Casilli, venu lui aussi apporter son soutien à cette proposition de loi. « J’ai commencé à réfléchir à la gestion algorithmique du travail dès 2016, avec le syndicat CGIL et des élus en Italie. Nous avons pensé alors le concept de contracter, négocier l’algorithme. À l’époque, c’était considéré comme abstrait, mais aujourd’hui on se rend compte de cette nécessité : l’algorithme et ses réglages doivent faire l’objet d’une négociation. »
100 000 milliards de paramètres dans GPT 4
Alors, évidemment, le chercheur souligne que de tels audits ne seront pas simples à réaliser, quand GPT 4, par exemple, comporte plus de 100 000 milliards de paramètres. « On se voit réduit à observer le comportement de l’algorithme, et à corriger les dégâts, résume le chercheur. Cette proposition de loi est en tout cas un premier pas, qui va dans le bon sens, et pose les bons termes. » En effet, Pascal Savoldelli n’ambitionne pas de régler d’un coup tous les problèmes liés à la plateformisation de l’économie, mais il entend maintenir le sujet dans le débat public. « Cette proposition de loi peut servir de levier, de béquille, quand il s’agira de faire rentrer dans le droit français la directive européenne sur les travailleurs des plateformes », précise le sénateur.