Dans la rubrique Chercheurs d’Actu (L’Express), le journaliste Olivier Monod publie une interview avec le sociologue Antonio Casilli à propos de vie privée, internet et le scandale des photos volées de Jennifer Lawrence.
La vie privée n’est pas morte, elle est devenue collective
Paramètres Facebook qui changent, photos de stars piratées sur iCloud… la notion de vie privée serait mise à mal par Internet. Faux, répond le sociologue Antonio Casilli. Interview. Le concept de fin de la vie privée est un concept défendu par ceux qui y ont intérêt, selon le chercheur Antonio Casilli.
Flickr/opensourceway
Plusieurs stars ont récemment vu leurs photos personnelles exposées sur la Toile. La vie privée existe-t-elle encore sur Internet?
Oui. Et ceux qui disent le contraire le font pour des raisons idéologiques et mercantiles. Dans l’affaire récente des photos de Jennifer Lawrence, certains ont rendu coupable l’actrice elle-même d’avoir pris ces photos. C’est grave. On accuse l’utilisateur alors qu’en l’occurrence, le fautif, c’est Apple. Les utilisateurs des applications cloud n’ont pas forcément les moyens de savoir quels contenus sont mis en ligne et lesquels ne le sont pas. Il y a un déséquilibre informatif qui exproprie l’utilisateur de ses propres contenus.
Sur Internet, les utilisateurs sont dépossédés de leurs données… aux dépends de leur vie privée.
Cette notion de la fin de la vie privée est défendue par les dirigeants de Facebook, Google, qui ont surtout à coeur leurs intérêts économiques. Les utilisateurs, eux, se défendent. Ceux de Facebook passent beaucoup de temps à gérer leurs paramètres de confidentialité. D’autres créent plusieurs comptes sur des réseaux différents pour gérer divers aspects de leur vie familiale, professionnelle, amoureuse… Tout le monde connaît une personne possédant deux comptes Facebook, un personnel et un professionnel.
Ce sont des stratégies individuelles face à des multinationales. Le combat n’est-il pas déséquilibré?
Bien au contraire, la vie privée est devenue un enjeu collectif. Il s’agit d’une négociation permanente entre les pouvoirs publics, les associations de consommateurs et les géants du numérique. L’histoire de Facebook est jalonnée de conflits sur ce thème, que ce soit contre des associations ou des institutions étatiques.
Quand Marck Zuckerberg dit “public is the new social norm” (“la transparence est la nouvelle norme sociale”, ndlr), il essaie de créer une nouvelle injonction sociale qui arrangerait bien ses affaires, mais qui ne correspond pas à la réalité. Dans les faits, il est en négociation permanente avec des groupes issus de la société civile qui refusent ses incursions dans la vie privée. Le secteur numérique tire profit de la vente des données personnelles récoltées. C’est pourquoi certains chercheurs et activistes demandent que les internautes soient désormais rémunérés, symboliquement, pour les données qu’ils mettent à disposition et la valeur qu’ils créent ainsi. C’est une idée intéressante, non?