Podcast de La Grande Table, le magazine culturel de la mi-journée sur France Culture, consacré à l’ “extension du domaine de la surveillance” à l’occasion de la mise en place d’un nouveau dispositif de police : le fichier d’analyse sérielle. Pour en parler avec Raphaël Bourgois, André Gunthert, Hervé Le Tellier et le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil).
Pour écouter d’autres podcast d’Antonio Casilli sur France Culture.
Le “ministre de la police” du président sortant – je parle de Claude Guéant – a quitté l’Hôtel de Beauvau en nous laissant pour tout héritage l’infâme circulaire du 31 mai et – dans un tout autre registre – le décret d’application du « fichier d’analyse sérielle ». Ce dernier dispositif s’inscrit dans la logique de la loi LOPSSI 2 (Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure) visant à fusionner, croiser, apparier les fichiers de police pour créer une base de données géante recensant des plus petites infractions aux code de la rue, aux informations relatives à nos appels ou a nos usages de médias sociaux.
La nouvelle de ce fichier n’est pas, hélas, une surprise. De part et d’autre de l’Atlantique, les efforts de traçage des populations se multiplient. La National Security Agency – nous annonce le magazine américain Wired – est en pas de construire le plus grand centre d’espionnage du monde dans le désert de l’Utah. Un espionnage dont la cible est, potentiellement, tout individu, appartenant à tout groupe ou en train de tenir (en ligne comme hors-ligne) tout type de propos.
Devons-nous céder au pessimisme orwellien et conclure, comme le fait l’ingénieur du MIT Simson Garfinkel, que « la tendance écrasante de la technologie est la révélation de la vie privée et que par sa nature propre, la technologie est intrusive » ?
En fait, une autre hypothèse, encore plus inquiétante, fait son chemin à l’heure où les gouvernements ne sont plus les seuls à détenir d’énormes base de données. Ce sont désormais les géants d’Internet comme Google ou Facebook, les thuriféraires des Big Data, à stocker et à analyser les plus grands et les plus complexes fichiers de populations généralistes de la planète. Et cela hors de tout contrôle judiciaire.
Si les fichiers de police sont renseignés par des fonctionnaires de l’état, les fichiers numériques des entreprises privées contemporaines sont renseignés par les usagers mêmes : pensez à combien d’informations sur vous mêmes et sur vos amis vous mettez en ligne à chaque fois que vous mettez à jour votre profile Facebook ou que vous actualisez votre statut sur Twitter… Certains commentateurs (comme le philosophe Anders Albrechtslund) emploient alors la notion de« surveillance participative » : les fichiers qui composent la structure de contrôle du Web sont nourris par les sujets mêmes de ce contrôle.
Ceci ne veut pas dire que nous devons renoncer à notre vigilance citoyenne vis-à-vis des lois liberticides telles celles promulguées par Guéant et par ses homologues étasuniens. Au contraire, nos efforts doivent redoubler, pour contrer autant la surveillance classique (celle que nous impose le pouvoir régalien) que les nouvelles formes de surveillance participative, que nous impose notre propre envie de connectivité.