“Le jour où l’écrivain découvre que son livre a été piraté et est désormais disponible en téléchargement illégal sur Mediafire, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole”.
Bon, je sais… ce n’est pas la phrase *exacte* que Charles Baudelaire avait consignée dans les pages de Mon coeur mis à nu (1887), mais elle décrit assez bien le mélange de sentiments qui m’anime en retrouvant la version piratée de mon ouvrage Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociablité ? tantôt sur un blog de critique littéraire (“je l’ai lu pour vous, retrouvez-le par ici”), tantôt sur un forum de gamers (“version pdf : achievement unlocked!”) tantôt sur le site même de l’Hadopi (on me l’avait signalé mais depuis la page a été supprimée…).
Mauvaise nouvelle pour mon éditeur. Mais sans aucun doute bonne nouvelle pour moi. En tant qu’auteur, je ne peux qu’être flatté par le fait que quelqu’un ait pris le temps de craquer les DRM de la version ebook ou de scanner (comme dans un cas remarquable, vu en ligne il y a quelques mois) les 336 pages de la version papier ! C’est du boulot, ça. Tout comme c’est du boulot le fait de le mettre en ligne, de l’héberger, de le partager avec d’autres lecteurs, d’écrire des billets ou des messages dans des listes de diffusion pour le faire savoir aux autres.
J’ai donc tendance à interpréter ces activités comme autant de signes d’appréciation. Quelqu’un a considéré les thèses présentées dans mon ouvrage assez méritoires pour prendre la peine de faire tout cela – et pour prendre aussi le risque que l’ayant droit porte plainte contre lui.
Rassurez-vous. L’ayant droit, ce n’est pas moi. Moi, je suis celui qui est intéressé à voir ses idées circuler. Et qui pour cela est content de se voir piraté tout comme il a été – je crois à juste titre – content de voir que son livre a été bien vendu, bien lu, bien présent dans les classements des meilleures ventes, et tout le baratin. En tant que défenseur d’un modèle d’industrie culturelle qui s’efforce de co-produire de la connaissance avec les lecteurs plutôt que de les poursuivre en justice, je considère le partage non-commercial de mon livre non pas comme un accident de parcours, mais comme une attestation de la pénétration culturelle de mes idées.
De la même manière que les recensions dans les revues savantes, les citations dans les colloques scientifiques, les papiers dans la presse ou les interviews dans les médias… Si aujourd’hui on m’encourage à inscrire tous ces résultats dans mon curriculum d’universitaire, pourquoi ne pourrais-je ajouter aussi « Livre piraté sur… » dans la rubrique valorisation de la recherche et rayonnement de l’activité scientifique ?