Le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du (Seuil), intervient au Congrès Grenoble 2011 de l’AFS (Association Française de Sociologie) à l’occasion de la semi-plénière “Les technologies de l’information et de la communication en santé : un nouvel essor pour le champ sanitaire ?”. Sa présentation, dont le titre est E-santé : entre conflits sociaux et fractures sanitaires, a eu lieu à l’amphi 10 (Campus de St-Martin d’Hères) le 7 juillet 2011, à 11h dans le cadre des activités des RT19 “Santé, médecine, maladie, handicap” et RT29 “Sciences et techniques en société” de l’AFS. La vidéo de l’intervention est disponible sur le site http://www.canalc2.tv.
Une complexité sociale grandissante entoure la transition de la « médecine de chevet » à l’e-santé. Nous ne sommes pas en train d’observer un processus linéaire, mais un concert de voix discordantes, un champ de tensions. L’application des technologies communicantes et des dispositifs mobiles au domaine de la biomédecine sous-entend un ensemble de revendications d’autonomie de la part des sujets impliqués dans les échanges informatisés orientés santé. Surtout, les communautés de patients du Web restituent de façon originale un ensemble de conflictualités entre institutions médicales et savoirs profanes du corps. Issues des contestations de la médecine institutionnelle des années 1980 et des collectifs de « résistance civile électronique » où les premiers hackers mettaient leurs compétences informatiques au service des malades exclus des soins par des systèmes de sécurité sociale de plus en plus dysfonctionnels, les forums de discussion santé ou les applications participatives de la « medecine 2.0 » actuelle sont encore animés par un refus très marqué de la médiation médicale. Dans le contexte qui se dessine, les médecins ne seraient plus qu’une ressource parmi d’autres, concurrencés par les communautés épistémiques à la Wikipédia, les groupes d’entraide en ligne et les bases de données ‘open’. Mais, de manière paradoxale, la démocratisation croissante des usages numériques ne va pas sans soulever plusieurs interrogations quant aux biais qu’elle peut introduire dans l’accès aux soins. La question des inégalités en matière de santé reste plus que jamais ouverte. Un déplacement progressif des scènes de l’exclusion et de l’isolement social pourrait s’opérer si la « fracture numérique » finissait par recouper une « fracture sanitaire » entre usagers ayant accès à de l’aide en ligne et à de l’information de qualité et des couches de population progressivement évincées de cette démarche d’ ‘empowerment’ des malades. Le risque est que les usages numériques contribuent à exacerber ces inégalités.