Sur Slate.fr le journaliste Vincent Glad interviewe le sociologue Antonio A. Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. Seuil). L’occasion pour parler de liens faibles, de sociabilité animales et humaines et… de commenter le programme numérique de la candidate socialiste à la présidentielle 2012 Martine Aubry.
«Dans la durée de vie d’un individu, vous pouvez vous trouver dans des situations où vous avez besoin d’informations dignes de confiance, au moment d’une maladie, d’un achat important, d’une décision professionnelle importante et à ce moment là, la question de la réactivation des liens faibles se pose. Les personnes qui font partie des petites boîtes (famille, amis, collègues) ne sont peut être pas les meilleures pour répondre à ces questions spéciales.» On croirait entendre du Martine Aubry, vantant les mérites du care. C’est ainsi que sur Twitter les messages proposant un job ou un appartement sont souvent retweetés des dizaines de fois, alors que l’information n’intéresse objectivement que peu de monde. L’étonnante force des liens faibles.
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Les réseaux sociaux sont en fait comparables à l’épouillage des singes (grooming en anglais, un concept développé en anthropologie), selon la chercheuse américaine Judith Donath. Liker un statut Facebook ou répondre une banalité à un tweet sur un chariot de gare s’apparentent aux petits gestes que font les singes de la même peuplade entre eux, comme passer du temps à s’enlever les parasites. «Ce qui est essentiel dans le grooming, c’est l’économie du geste: c’est un tout petit geste dont la retombée est très importante, relève Antonio Casilli. Quand vous voulez souhaiter un anniversaire à un ami éloigné, vous avez trois possibilités: soit aller lui rendre visite et apporter un cadeau, c’est long, c’est coûteux, c’est potentiellement pénible; vous pouvez lui envoyer une petite lettre, un SMS ou un mail, mais encore une fois, c’est long; ou alors le moins coûteux de tous, faire du grooming sur Facebook en laissant un message sur son mur» Le programme numérique de Martine Aubry est abondamment fourni en matière économique, culturel ou diplomatique mais il oublie les pratiques les plus quotidiennes. La gauche pourrait s’intéresser aux réseaux comme un moyen de fluidifier la société, et pas seulement de gagner une élection.