Dans Libération du 16 juin 2011, un article de Marie Piquemal sur le choix de son avatar sur les réseaux sociaux. L’occasion d’en parler avec Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil), ainsi qu’avec d’autres experts en matière de numérique : Thibaut Thomas, Yann Leroux et Fanny Georges.
Avant de s’aventurer sur ce terrain glissant, mais passionnant, Antonio Casilli, chercheur à l’EHESS1, prévient : «attention, Facebook n’est pas Twitter qui n’est pas MySpace, ni le forum Doctissimo». Les codes de représentation ne sont pas les mêmes d’un média social à l’autre. A l’instar du monde réel, le net est rempli de codes, de règles de conduite, de coutumes même, qu’il est de bon ton de respecter. Ainsi, sur Facebook, beaucoup ont pris le pli de se présenter sous leur vraie identité: nom, prénom, date de naissance et photo de face ou de profil.
Sur Twitter, la part de mise en scène et de jeu est plus développée, on trouve donc davantage de profils fantaisistes (gueules d’animaux, caricatures, affiches, etc.) «Vous remarquerez que les gens paraissent toujours heureux sur leurs photos d’avatar. L’air mélancolique est banni», note Fanny Georges, auteure d’une thèse sur la représentation de soi et l’identité numérique.
Comment s’opère le choix?
Pourquoi cette photo plutôt qu’une autre? «Quand on pose la question, les utilisateurs répondent, au choix: “celle-là, je l’aimais bien” ou “j’en avais pas d’autres”», résume Thibaut Thomas2, spécialiste en stratégie des réseaux sociaux, qui a consacré son mémoire de fin d’études sur le sujet.
Pour lui, ces deux réponses veulent dire la même chose: «la personne a estimé qu’à un moment donné et dans un contexte social donné, cette photo était la seule pouvant la représenter. C’est exactement la même démarche que de s’habiller avant de sortir dans la rue. On adopte une manière de se présenter en fonction des personnes l’on s’attend à rencontrer. Vous ne vous habillez pas forcément de la même façon pour aller à un rendez-vous professionnel que pour sortir acheter le pain le dimanche. Le mécanisme est identique avec le choix de la photo de profil. On anticipe qui peut nous voir et la manière dont on veut se présenter à leurs yeux, exactement comme dans la vraie vie.»
Dans ses travaux, Antonio Casilli décompose ce travail psychique (pas forcément conscient) en deux étapes : choisir sa photo oblige d’abord à engager une réflexion sur la manière de se présenter, les traits que l’on désire mettre en valeur. Ensuite, «la photo doit être validée par les autres. Cette étape de la reconnaissance est essentielle: est-ce que je suis capable de gérer cette nouvelle identité ?» C’est ainsi que le rouge-gorge, taxé unanimement de «gnangnan», est passé à la trappe…«Sur Facebook, réseau social basé sur l’identité civile, le choix de la photo de profil est plus important pour les autres que pour soi-même. Il apporte la preuve que vous êtes un être humain.»