Mardi 15 mars 2011, le sociologue Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil), a été l’invité de la Gaîté Lyrique de Paris pour une conférence dans le cadre du cycle “Technologies au quotidien” : le regard du chercheur et celui des artistes Ricardo Nascimento et Ebru Kurbak s’est porté sur le rôle des nouvelles interfaces entre le corps et son environnement quotidien. La journaliste Marie Lechner (Ecrans/Libération) a introduit la conférence en contextualisant la thématique de la soirée : les espaces visibles sont traversés par des flux invisibles d’information.
Les slides de la présentation d’Antonio Casilli sont désormais consultables en ligne.
Nous habitons aujourd’hui un espace double – matériel et cognitif. Désormais, pour presque deux milliards d’individus, nouer des amitiés, développer des relations professionnelles ou encore constituer un couple passe par Internet. Au fur et à mesure que les usages informatiques se démocratisent, la peur des risques de rupture du lien social associés à ces technologies cède progressivement le pas à une perspective qui met en évidence les potentialités « socialisantes » des technologies numériques. Il y a un Internet d’information, où l’on recherche les meilleurs prix pour les billets de train, où l’on vérifie les horaires des séances au cinéma. Mais il y aussi un Internet de communication. C’est l’espace où l’on échange des mails, on parle avec ses amis par clavier interposé, on partage de la musique et des photos avec des inconnus. Et cette communication est, justement, un fait social nouveau, une forme de coexistence assistée par les ordinateurs qui demande un regard nouveau de la part des artistes, des chercheurs et des décideurs politiques.
L’idée qu’Internet et ses technologies soeurs soient des outils froids, éloignés de l’expérience humaine est fausse. Internet est une technologie de la chaleur humaine. Les réseaux sociaux actuels traversent notre quotidien, les ordinateurs meublent nos maison, les smartphone collent à notre corps. Notre machinerie, pour reprendre les propos de Bruce Sterling, est presque arrivée “sous la peau”.
La miniaturisation des ordinateurs (initiée dans le deuxième après guerre) a engendré une reterritorialisation de ceux-ci, leur permettant petit à petit d’intégrer l’espace domestique. Le premier changement que cette miniaturisation a impliqué est donc celui de l’espace physique. L’agencement des pièces, des meubles, des chambres change avec l’arrivée de ce nouvel appareil électroménager qu’il faut installer, comme on a installé avant lui la radio ou la télévision. Mais il n’y a pas que l’espace domestique qui est bouleversé par l’arrivée de cet équipement : l’espace technologique de la maison l’est aussi avec l’arrivée d’un équipement dont le contenu technologique est par définition plus important que les autres, puisqu’il permet de tout faire (jouer de la musique, regarder des films, jouer, communiquer…). Enfin, ils ont également reconfiguré l’espace social. Pour les “enfants de l’ordinateur” des années 80, l’ordinateur a été l’occasion de s’autonomiser ou de resituer le rôle qu’ils avaient au sein de la famille. Il va de même pour la Génération Y d’aujourd’hui – les utilisateurs de Facebook et des autres médias sociaux.Rien de plus éloigné du mythe du cyberespace, colporté par nombre de théoricien du Web, passés et présents : connecté en ligne, tout internaute serait-il aspiré dans une « réalité virtuelle » ? Suite à la banalisation des bornes wi-fi et des interfaces informatiques, les usagers d’aujourd’hui se branchent à Internet comme ils se brancheraient à une prise électrique. Il devient alors clair que continuer à penser au Web comme à un espace transcendant par rapport à notre réel est une erreur d’évaluation lourde de conséquences théoriques et politiques.