Retrouvez sur Mediapart le compte rendu de Clément Sénéchal de la rencontre “Communautés de lecteurs et rédactions : liaisons dangereuses ?” (Maison des Métallos, 9 février 2011). L’occasion pour Antonio Casilli, auteur de Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil) d’échanger à propos de trolls, idéaux citoyens, cyberaddiction et esprit d’appartenance en ligne avec Vincent Truffy (Mediapart), Milad Doueihi (Université de Laval) et Isabelle Reigner (Le Monde).
En vérité, les trolls, i. e. les commentateurs malveillants qui envahissent les fils avec des critiques souvent déplacées (et dans le seul but d’agacer), ont un véritable rôle structurant au sein de chaque communauté – et qui plus est sur internet, où leur présence est permanente et démultipliée. En effet, l’identification négative dont ils font l’objet permet aux autres membres de la communauté de s’identifier positivement entre eux: en faisant front contre un adversaire commun, ils font corps: «Face aux trolls, les autres sont porteurs de la norme sociale», justifie Antonio Casilli. Le troll est ainsi le moment négatif de la dialectique de l’appartenance. Le magnétisme qu’il exerce agit comme une soudure dans la communauté, comme un raccord: il fédère. Bien entendu, poursuit Casilli, «il y a toujours un gentil hystérique qui cherche à le calmer». ce qui ne fait que renforcer son pouvoir de nuisance, aiguillonnant sa vindicte, lui donnant prétexte à se répandre. Mais s’agit-il d’un véritable pourvoir de nuisance ? Bien plus que nuire à la communauté, le troll la maintient en vie, en activité, l’anime. Grâce à lui, elle se renforce à son tour. C’est pourquoi Antonio Casilli défend l’idée que le troll «enrichit finalement la qualité du Web». (…) Enfin, si les trolls sont relativement bien identifiés au sein d’un espace social développé, il n’en demeure pas moins que sur Internet les identités discursives sont relativement volatiles et fugaces: chacun peut, à un moment ou un autre, occuper la position sociale du troll, pour peu que ses propos soient jugés impertinents, c’est-a-dire en décalage avec le contexte dans lequel ils interviennent. Dans une communauté essentiellement discursive et virtuelle, les identités ne sont ainsi jamais totalement arrêtées, mais sont au contraire rejouées à chaque prise de parole.