Mon article “‘Petites boîtes’ et individualisme en réseau. Les usages socialisants du Web en débat” – que vous pouvez télécharger ici en version PDF – vient d’être publié dans les Annales des Mines, série Réalités Industrielles, dans un numéro spécial Web d’aujourd’hui, Webs de demain (novembre 2010). L’article est un état des lieux du débat sur la socialisation (ou le manque de socialisation) des internautes. En montrant les différentes approches adoptées, et en passant en revue les résultats des études menées notamment par Robert Kraut et par Barry Wellman dans les années 1990-2000, le texte montre comment le débat scientifique a accompagné et expliqué la transition vers le Web social.
Des analyses encore fortement centrées sur les risques de rupture du lien social générés par les TIC ont cédé la place à une perspective emphatisant les potentialités de mise en relation des usagers (…) Sans empêcher les liens d’affinité traditionnels, ce modèle de sociabilité en ligne permet potentiellement d’activer davantage de liens qui apparemment sont les plus faibles. Dans ce contexte, une socialité forte n’est pas déterminée par le niveau de conformité des individus à leur environnement proche, ni par le nombre total de leurs amis. Il s’agit de faire coexister la cohésion sociale au niveau de petits groupes (bonding) et la création de passerelles entre ces mêmes groupes. Cette logique de communication entre composantes éloignées, que l’on désigne par l’expression « jeter un pont » (bridging), serait le propre du Web contemporain. Grâce aux effets de petit monde et aux propriétés de transitivité des réseaux numériques, la société façonnée par Internet, loin d’éclater, se resserre. (…) C’est une envie de cohésion qui anime les internautes, une envie de resserrement de leurs rapports sociaux. C’est aussi une envie de maîtriser et de façonner leur environnement social, tout en respectant certaines contraintes qui leur viennent de la vie hors-ligne. Cela nous conduit à ne pas sous-estimer l’effet spécifique des divers moyens technologiques mobilisés pour assouvir ces envies de sociabilité. En effet, les usages informatiques ne sont pas neutres : dans une réalité façonnée par les TIC, les affinités entre les individus (ou leurs rivalités) ne s’expriment pas de la même façon que dans le monde décrit par les sociologues du 19e siècle. Les analyses récentes sur l’impact du Web se sont heurtées à la nécessité de contextualiser la prétendue désocialisation des internautes au jour des divers cadres d’usage.
Petite précision : Les Annales ont été créées en 1794, ce qui en fait officiellement la revue la plus ancienne dans laquelle j’ai jamais publié 😉
Antonio A. Casilli (2010) “‘Petites boîtes’ et individualisme en réseau. Les usages socialisants du Web en débat”, Annales des Mines (série “Réalités Industrielles”), 216 (4), 54-59